En raison de l’inflation des prix immobiliers, de la forte tension du secteur social et de la disparition progressive de l’offre en location privée la plus accessible, l’Île-de-France connait depuis plus d’une décennie une crise de l’abordabilité du logement. Premier poste de dépense des Franciliens, le logement est un enjeu renforcé pour les allocataires, qui constituent une population moins favorisée. À Paris et en petite couronne, ces derniers y consacrent plus de 30 % de leurs revenus. Les aides au logement compensent en partie cet effort financier, mais la situation reste particulièrement difficile, notamment pour les foyers à bas revenus et pour les locataires du secteur privé. Plusieurs études ont ainsi insisté sur le risque de mal-logement et de relégation spatiale des ménages les moins favorisés. Plus souvent confrontés à des conditions d’habitat dégradées, ces derniers seraient aussi davantage contraints de quitter un logement ou un quartier devenu trop chers et de s’éloigner des pôles d’emploi et de services de la région pour trouver une offre adaptée à leurs besoins à et leur budget.
Dans ce contexte, le dossier d’étude de la cellule technique de réflexion et d’aide à la décision (ctrad) est consacré aux inégalités de mobilité résidentielle des allocataires franciliens. Quels sont les foyers qui déménagent le plus ? Quels facteurs augmentent le risque d’être contraint de quitter son logement ? Qui a le plus tendance à s’éloigner lors d’un déménagement ? Pour répondre à ces questions, l’analyse des bases de données des huit caisses d’allocations familiales d’Île-de-France a été combinée avec l’exploitation d’une enquête par questionnaire, menée auprès de 20 000 foyers ayant déménagé en 2019. Les inégalités ont ainsi pu être étudiées à travers une approche multidimensionnelle de la vulnérabilité sociale, croisant le niveau de ressources des allocataires, leur configuration familiale, leur situation professionnelle, leur nationalité, le statut d’occupation de leur logement ou encore les évènements qu’ils ont connus dans l’année.
En Île-de-France, une personne couverte sur dix change de domicile chaque année. Ces déménagements sont principalement effectués à proximité de l’ancien domicile (moins de huit kilomètres en majorité). Néanmoins, ils participent dans leur ensemble au desserrement résidentiel de la population allocataire. En effet, au jeu des mobilités internes à la région, Paris et la petite couronne perdent des allocataires au profit des territoires de grande couronne. Par ailleurs, un cinquième des foyers mobiles a quitté l’Île-de-France, principalement à destination des départements limitrophes de la région et des autres grandes aires urbaines françaises.
Au-delà de ces éléments de cadrage, l’étude montre que tous les foyers n’ont pas la même probabilité de déménager. Les événements familiaux et professionnels favorisent logiquement la mobilité. Mais la vulnérabilité sociale est aussi associée à une plus forte instabilité résidentielle et à un risque plus important de quitter son territoire de résidence. Face à ces inégalités, le logement social joue un rôle important. Il semble en effet constituer un parc refuge. Il favorise l’ancrage résidentiel de ses résidents, mais cet ancrage révèle aussi le blocage de nombreux parcours au sein d’un secteur tendu où la rotation est faible.
L’enquête par questionnaire permet ensuite d’étudier les motifs de déménagements déclarés par les allocataires et l’effet de ce dernier sur l’évolution de leurs conditions de logement. Elle montre l’importance que les foyers accordent à l’amélioration de leurs conditions de logement (premier motif de mobilité) et leur niveau de satisfaction globalement élevé quant à leur déménagement. Néanmoins, les résultats de l’enquête révèlent aussi la fréquence élevée de deux situations particulièrement contraintes. D’une part, près d’un foyer sur cinq déclare avoir été forcé de déménager pour une raison liée à son logement. Ces raisons sont diverses. Il peut s’agir de la rupture ou de la fin d’un bail, d’un problème d’insalubrité ou encore d’une expulsion. Elles viennent s’ajouter à un autre motif souvent cité : le prix trop élevé de l’ancien logement. D’autre part, plus d’un tiers des foyers interrogés a connu une situation d’absence de logement personnel au cours des deux années précédant l’enquête. Il s’agit en grande majorité d’hébergements chez un proche, mais la résidence subie en chambre d’hôtel, en centre d’hébergement ou l’absence complète de domicile restent non négligeables. Dans l’ensemble, ces situations révèlent l’ampleur des difficultés de logement des allocataires franciliens. Elles concernent en premier lieu les personnes seules et les familles monoparentales à bas revenus, ainsi que les foyers dont l’allocataire en titre n’est pas ressortissant européen.
Enfin, l’étude de la géographie des déménagements montre que ces derniers sont conditionnés par différents filtres socio-spatiaux. Ces filtres sont d’abord visibles à travers les mobilités sortantes de la région. Alors que les allocataires aux ressources moyennes sont surreprésentés parmi les ménages s’installant dans un département limitrophe de l’Île-de-France, ceux aux ressources plus élevées déménagent plus souvent à destination des autres grandes métropoles françaises. Ces contrastes s’expliquent à la fois par la métropolisation de l’emploi des cadres et par le moindre coût de l’immobilier dans le voisinage de l’Île-de-France. En ce qui concerne les déménagements effectués au sein de la région, il apparait que les couples avec enfant(s) sont ceux qui s’éloignent le plus du centre et que la périphérisation des ménages aux ressources moyennes se renforce également. Ces mobilités participent par ailleurs au renforcement de la polarisation sociale. Sous l’effet des déménagements internes à l’Île-de-France, la part des foyers à bas revenus a augmenté dans la majorité du territoire de Seine-Saint-Denis, dans le sud-ouest du Val-de-Marne et autour des villes nouvelles. Dans le même temps, la présence des foyers aux ressources moyennes s’est accentuée en Seine-et-Marne et aux marges de la région ; celle des foyers aux revenus plus élevés a augmenté dans des territoires situés à la limite de l’Essonne et des Yvelines. Quelles inflexions s’observent toutefois. En effet, la part des foyers à bas revenus a augmenté dans le périurbain et des phénomènes de gentrification sont visibles dans le sud-est de la Seine-Saint-Denis et le nord-est du Val-de-Marne.
Le dossier d’étude est à paraitre prochainement. Pour le télécharger et découvrir les autres publications de la ctrad, rendez-vous sur le site : ctrad-caf-idf.fr.